Le chêne

Dans un coin du pré

il y a un chêne

Un presque vieux chêne
tranquille
le chêne écoute
 Il ne dit rien
Parfois il parle avec les oiseaux
 et cache les écureuils

dans les feuilles de ses bras
Il a des histoires plein les racines

des chansons plein les rameaux et des rêves dans l’écorce

Des rêves de pluie douce et de vent d’été

Des rêves de balançoire, d’enfants qui rient des bonbons fondus dans les poches,
D’enfants écorchés aux genoux croûtés de cicatrices des batailles pour prendre son sommet 

Dans ses branches

il y a une cabane

pas très grande

mais assez pour deux cœurs
qui battent un peu plus fort quand ils grimpent l’échelle
le chêne écoute 
Il ne dit rien
Une cabane avec des rideaux faits d’oiseaux
et un toit ouvert sur le ciel
Les amoureux y montent

les soirs doux où le foin sent le soleil du jour
ils rient

ils chuchotent

parfois ils s’embrassent

et le chêne fait semblant de ne rien voir
mais il rougit un peu et ses feuilles en frémissent
le chêne écoute 
Il ne dit rien
Parfois les amoureux restent calés dans ses racines
emmitouflés d’herbes hautes
sous l’ombrage impressionniste
on entend des soupirs qui s’envolent dans l’éventail des verts
il connaît tous les parfums
ceux des vaches qui vont au pré
l’humus mouillé après la pluie
les jonquilles du printemps
les mûres trop chaudes de l’été
il connaît tous les vencoulis qui lui chatouillent les ramures
Il regarde chaque année fondre les saisons
et les automnes s’envoler

 et lui

il reste là

comme un poème planté dans la terre

avec la cabane dans le cœur

le souvenir des amoureux dans ses branches
ce chêne est comme une promesse
tendre comme un souvenir
Il pousse là

au milieu du pré
au bord du chemin
dans le fond de votre forêt
le chêne écoute 
Il ne dit rien

sauf les jours de tempête

L’année s’écoule
Et quand des cœurs reviennent

le chêne attend

Il ne dit rien

il sent déjà l’amour qui bat contre son tronc
comme un second cœur dans le sien
ils parlent bas

ils se racontent des mondes et inventent un monde partagé

parfois ils ne disent rien du tout

juste un regard

juste une main
Et le chêne les garde

au chaud dans ses feuilles

comme un secret qu’on ne dit jamais

mais qu’on protège toujours
Il a vu passer tant de choses

des saisons
des orages

des rires d’enfants et des silences d’adultes
 et ceux qu’il aime le plus

ce sont ces deux-là
Le chêne attend
Il ne dira rien